Nos enseignements dépendent pratiquement tous les uns des autres. Et pourtant, nous avons bien souvent eu la (mauvaise) surprise de voir qu’un concept clé d’un autre cours semblait totalement inconnu de la classe au moment d’y faire référence dans le sien.

Comment expliquer cela ?

Il ne s’agit pas uniquement de déplorer des oublis. De nombreux obstacles peuvent freiner le transfert d’une discipline à l’autre : des notations changeantes, des contextes multiples, des raisonnements variables.

Le Chaudron a pris contact avec Aude Caussarieu, didacticienne pour en discuter. Elle a notamment travaillé sur des formats d’enseignements favorisant le développement des compétences mathématiques pour les autres disciplines scientifiques.

Aude nous a proposé quelques lectures afin de mieux cerner les enjeux de cette approche. Ces articles sont de précieux témoignages proposant tant des idées de dispositifs à mettre en œuvre que des retours sur ce qui a bien (ou peu) fonctionné.

Partir de la pratique pour aller vers la théorie

Comment aborder le théorème de Pythagore de manière à favoriser sa réutilisation dans d’autres contexte ? Le schéma tiré du billet de blog rédigé par Aude aborde ce problème.

Ce premier exemple introduit la terminologie et le raisonnement utiles à adopter pour réfléchir à ces questions. Ce découpage permet de partir de la liste des tâches que nous souhaitons voir maitriser à l’issue d’un enseignement.

Chacune de ces tâches peut être traitée à l’aide d’une ou plusieurs techniques. Dans le cadre du projet Maths4Science, ces techniques ont été associées à une fiche méthode et une fiche exercices.

Ces techniques sont construites à base de « technologies » donnant les éléments de justification des raisonnements. Ces points de cours sont nécessaires pour saisir le bien fondé des méthodes de résolution d’exercices.

La nécessité d’un échafaudage

Cette publication présente un dispositif mis en place suite au constat du faible niveau des étudiant-es en mathématiques, rendant difficile le suivi d’un module de chimie quantique (« le prof passe plus de temps à faire des maths que de la chimie »).

Ce dispositif consiste en un module de remédiation. Pour chaque séance de cours, un test préalable est proposé aux étudiant-es. Cela leur donne une idée des pré-requis mathématiques et de leur positionnement par rapport aux attendus. Des exercices, sans contexte physique, mais directement liés aux calculs présentés en cours, leur sont proposés. Dans le cas où certaines questions amènent trop de réponses fausses, un complément de cours sur le sujet est proposé.

Ce dispositif teste l’hypothèse : réussir une application directe est source de motivation pour s’engager en cours.

Les résultats sur deux promos sont reportés dans l’étude : ce dispositif semble avoir un impact très positif sur la réussite académique du module.

Les limites du concept de boite à outils

Cette publication fait suite à un constat similaire : les étudiant-es bloquent sur des concepts mathématiques en cours de physique.

Là aussi, un test préliminaire à l’enseignement est réalisé. Il est présenté aux élèves tant comme un diagnostic qu’une façon de contribuer à la construction de cours plus didactiques. L’équipe enseignante cherche à établir la corrélation entre l’aisance mathématique et la capacité à transférer en physique ou à d’autres concepts.

Le test amène à cette principale observation : les étudiant-es ont des meilleurs résultats sur les questions mathématiques sans enrobage ni contexte que sur les questions en lien avec la physique ou avec un contexte plus quotidien.

Pour mieux comprendre, voici un exemple d’une question posée.

Les trois questions demandent le même raisonnement : comparer la pente de deux droites. La première est rédigée avec un langage purement mathématique. La deuxième fait appel à des notions de physique. La dernière est associée à des notions d’économie-gestion des entreprises.

Les copies présentent toutefois des approches de résolution différentes dans ces trois mises en situations.

Les étudiant-es confronté-es à la première question ont le réflexe de mobiliser une formule, au lieu de manipuler des définitions sur les concepts mentionnés, ce qui va souvent les bloquer. Pour cet exemple, la question “économique” est bien mieux réussie : le fait de manipuler des quantités qui ont un sens dans la vie quotidienne semble aider à la résolution.

Cela ne semble donc pas être un souci de mathématiques mais bien de transfert d’une discipline à l’autre.

Sur le terrain

Suite à ces échanges, les collègues partagent leur vécu en classe.

Plusieurs indiquent avoir déjà pu constater de tels blocages. Notamment des manques sur des concepts déjà vu dans d’autres matières (souvent, les maths). Cela demande de bien aiguiller la classe en partant de la formulation de ce concept, telle qu’elle a été présentée dans le cours d’origine, voire de reprendre de zéro.

La solution proposé dans la littérature évoquée précédemment est la suivante : prendre des temps dédiés avant la séance pour revoir des points issus d’autres disciplines. C’est une opportunité tant de rafraichir la mémoire que de commencer à tisser des liens entre plusieurs disciplines.

Comment mettre en œuvre ces temps ? Faut-il s’associer avec des enseignant-es « spécialistes » de ces sujets ? Très concrètement : en tant que prof d’info, ai-je le recul nécessaire pour mettre sur pied un module de maths ?
La description de la mise en œuvre du module de maths pour la chimie quantique ne donne pas ce niveau de détail. A la lecture de leur article, on a plutôt l’impression que l’équipe enseignante est partie des pré-requis identifiés pour suivre le cours de chimie. Il n’y a pas de volonté manifeste de partir du cours de maths.

A l’inverse, le projet Maths4Science a associé des profs de diverses disciplines scientifiques pour réussir à combiner les multiples approches. Cela allait dans leur volonté de travailler sur des énoncés qui propose des embuches pertinentes dans les apprentissages (notamment pour les quizz / QCM). L’idée étant de réussir à relier de manière explicite les erreurs et les points de cours ciblés par l’énoncé.


Obstacle réel ou artificiel ?

Un collègue pointe qu’au-delà des difficultés se pose la question de la motivation. Peu de choses restent d’un cours à l’autre, car l’examen reste l’objectif visé et non la volonté de se cultiver.
Ainsi, il a pu noter qu’à la simple question « Avez-vous déjà eu des cours de langage C ?« , chaque groupe de TD avait une réponse différente (alors qu’un cours de cette matière avait eu lieu dans la semaine).

Une collègue renchérit, évoquant les étudiant-es cherchant un manuel de recette jusqu’à l’examen, appuyant ensuite sur reset. Elle interprète cette situation comme la volonté des étudiant-es de suivre avec application les indications de l’équipe enseignante, sans arriver à prendre le recul nécessaire qui permettrait de s’en détacher.

A cela s’ajoute le peu de liberté des enseignant-es sur le rythme des évaluations, le planning des devoirs étant défini à l’année. Les moments de révision ne sont donc pas forcément calés avec les temps forts du module.

Un collègue partage alors l’idée de faire construire par les étudiant-es le sujet de l’examen. Cela leur demande de bien identifier au préalable les compétences à savoir maitriser dans un module.
Cet exercice peut se faire par exemple sous forme de devoir maison.
La pratique de quizz croisé colle partiellement à cette approche [article à venir].

Proposer des sujets d’interros interdisciplinaires (à la manière des projets) pourrait aider à casser les murs entre les matières. Cela permettrait de corréler explicitement leur réussite à l’idée de combiner plusieurs disciplines. Cette approche serait tout à fait compatible avec l’évaluation par compétence.

En arrivant au niveau master, les étudiant-es arrivent à mieux cerner les apports de la prépa et du tronc commun pour résoudre des problèmes complexes. C’est probablement un peu frustrant pour les enseignant-es qui ont travaillé avec ces classes au préalable, mais le déclic se fait tout de même.
A voir si cette séance pourrait faire émerger des idées pour amener ce déclic plus tôt dans la scolarité.
Dans quelle mesure est-il possible de faire des cours « non disciplinaires » ? Cette approche transversale tant dans les séances, les supports ou les examens pourrait créer la preuve d’une telle possibilité de transfert.


C’est qu’il se passe des trucs palpitants par ici

Un autre collègue souhaite rappeler que la relation au savoir diffère généralement fortement entre prof et élève. Beaucoup d’étudiant-es semblent (d’après les retours formulés) entretenir une relation assez instrumentale au savoir. C’est d’autant plus le cas sur les années où les enseignements sont imposés : le fait de pouvoir choisir (comme en master) permet de créer un peu plus d’engagement. L’approche par projet pourrait apporter un autre objectif que la note ou le pur apprentissage. Cette modalité, comme d’autres, pourrait jouer sur le plaisir à apprendre et leur confiance.

Un autre témoignage rebondit sur cette proposition. Les enseignements du domaine professionnel robotique sont organisés en partie sur la modalité projet. Cela semble jouer très favorablement sur la motivation. Un projet fil rouge crée du lien entre chaque module et permet de créer un espace où s’illustrent des articulations entre les matières. Cette organisation fera l’objet d’une présentation ultérieure. Ce projet inclut d’ailleurs un enseignement mixte techniques / sciences humaines.

Alors ?

Le sujet était vraiment vaste : difficile d’en faire le tour en une heure.
Pas mal de collègues ont déjà identifié des liens entre leur matière : quels sont les temps institutionnels qui permettent de matérialiser ces liens au sein même d’une discipline ? ou d’une année d’enseignement ?

Merci encore à Aude Caussarieu pour ses précieux conseils lecture.


Crédits images : Dan Dao, Peter Halling Hilborg, Hans Splinter


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