Série « Les ficelles du métier d’étudiant·e », épisode 3/5

Ça y est, les éléments de cours sont mémorisés ! Fin de mission ? Non, car probablement que tout le monde connait ce sentiment désagréable d’avoir l’impression de maitriser un raisonnement appliqué à certaines situations, puis de se rendre compte d’avoir du mal lorsque qu’elle change légèrement.

Figurez-vous que cela porte un nom : les difficultés de transfert.

Les quelques pistes qui suivent visent à favoriser le transfert :


Se repérer dans le processus

Certaines activités proposées en cours s’insèrent dans ce que j’appelle des « processus ». Répondre aux différentes questions d’un exercice, lire des documents puis en faire une synthèse, comparer diverses situations d’un TP ou d’une étude de cas : je désignerai tout cela ensuite par « problème ». Rendre explicite ces processus et leur découpage permet de mieux comprendre l’enchainement des mécanismes que l’on va mettre en œuvre pour résoudre un problème.

Une fois en autonomie face à une situation analogue, le fait de savoir comment subdiviser le problème et d’avoir associé à chaque morceau des stratégies adaptées rendra les choses moins hasardeuses. Cela peut se travailler en proposant des exercices qui traitent un même problème en ordonnant différemment les étapes de résolution.

Identifier les données, les inconnues du problème

Lorsque l’on fait face à un problème, on a parfois envie de se rassurant en se jetant vite sur la résolution : commencer à aligner les lignes de calcul ou de code, se lancer dans la rédaction de sa composition, etc. A l’inverse, on peut ressentir parfois l’angoisse du blocage, et ne pas savoir par où commencer. Ces deux situations peuvent être à l’origine de pas mal de stress, notamment en examen ou le temps est très limité.

Je reviens à mes métaphores culinaires : identifier les ingrédients à manipuler, savoir quel plat on cherche à cuisiner, voilà un bon point de départ ! Pourquoi ?

Vous allez devoir trouver des liens entre les ingrédients à manipuler (ce que j’appelle les données) : des lois physiques, des théorèmes mathématiques, etc. Ce sont ces éléments qui vont vous aiguiller sur ce qu’il faut récupérer dans votre mémoire pour construire votre raisonnement. Cependant, ces ingrédients peuvent faire appel à pas mal de notions. Afin de restreindre le périmètre de recherche, vous pouvez garder en tête le plat que vous cherchez à concevoir (ce que j’appelle les inconnues). La façon dont vous reliez les données doit permettre l’obtention d’informations sur les inconnues.

En cours de physique, cela peut se faire en cherchant par exemple des équations qui relient les données du problème et l’inconnue que l’on cherche à exprimer. C’est peut-être évident, mais cette étape initiale semble souvent négligée. Comment travailler cet aspect-là ? Par exemple au moment de résoudre des exercices. Lorsqu’on débute, on peut essayer de faire un bilan après la résolution sur les informations clés tirées de l’énoncé. Lorsqu’on prend de l’aise, on peut porter cette analyse avant de faire l’exercice pour tenter d’anticiper la démarche.

Varier les exemples étudiés

Dans ma discipline, j’ai l’impression que les élèves se sentent à l’aise en refaisant les exercices. Je pense que se contenter de cela revient à relire ses fiches : se rassurer mais ne pas vraiment mettre le doigt sur ce qui peut poser difficulté. Tester le transfert demande d’aller vers des choses un peu nouvelles. Le temps passe toujours trop vite en cours pour multiplier les exemples.

Pour faciliter le travail en autonomie des étudiant-es, nous pouvons essayer de mettre à disposition des annales, des ressources numériques (quelques suggestions pour les cours de science niveau licence : l’annuaire de sites pros alimenté par l’UPS ou les modules Socle3 de la plateforme Unisciel), des recommandations d’ouvrages d’exercices. Cela peut demander pas mal de temps de rédiger des corrigés. J’ai tendance à encourager les étudiant·es à tester de nouveaux exercices même sans corrigé, en leur disant que si plusieurs trouvent un même résultat, c’est déjà un bon signe.

Étaler l’effort dans le temps

Dans la continuité de ce que l’on pu se dire sur la mémorisation, ce n’est pas forcément une bonne idée de dédier une session complète à une seule pratique. Étaler permet de laisser du temps pour encoder les choses. Et puis, pour vraiment se tester, il faut essayer de se mettre en condition de ne pas avoir lu trois ou quatre corrigés avant de se lancer dans un cinquième exercice similaire.

Une façon de ne pas tomber sur cet écueil est d’alterner (cf paragraphe suivant).

J’ai bien aussi l’idée de proposer une série d’exercices corrigés, à traiter de façon étalée dans le temps (au rythme d’un exercice par jour par exemple). Cette série permet de mettre en œuvre une compétence bien ciblée (en physique : calcul de fonction de transfert, montage à ALI, etc). Vu qu’il fallait donner un nom, j’ai appelé ça un « challenge ». Un challenge est alors composé de cinq « défis », à savoir cinq exercices de difficulté croissante portant sur un sujet. Chaque défi est dimensionné pour demander 10 à 30 minutes de travail. J’invite les étudiant·es qui veulent se lancer dans un challenge à faire maximum un exercice par jour, histoire d’avoir cet effort étalé dans le temps. L’intérêt est de rendre tangible la progression sur une compétence en se focalisant dessus.

Alterner et faire des pauses

Alterner permet de favoriser plusieurs des pratiques évoquées jusqu’à présent : retracer régulièrement les chemins, viser la zone proximale de développement et étaler l’effort dans le temps.

De plus, la mémoire de travail (ou mémoire court-terme) sature rapidement. Cette mémoire sert à mettre en tampon, tant les connaissances tirées de la mémoire long-terme, que les éléments à analyser dans l’énoncé. La mémoire sature lorsque l’on a trop de choses à garder en tête en même temps : à partir de là, dites au revoir à votre efficacité.

Alterner permet d’éviter de trop forcer, d’y aller progressivement. Cela encourage aussi à faire des pauses, ce qui soulage notre mémoire de travail. Enfin, alterner permet aussi de créer des liens entre différents concepts. Cela peut paraitre source de confusion à premier abord, mais à terme, cela facilite la création de lien. Comment s’y prendre ?

En cours, on peut essayer d’avoir diverses activités qui vont balayer plusieurs sujets plutôt que de dédier à chaque sujet une séance. Il s’agit de ne pas adopter la posture de « on l’a vu une fois, maintenant c’est bon, tout le monde le sait ». On peut aussi essayer d’avoir des moments de respirations : de vraies pauses, un petit quizz, parler d’un sujet connexe au cours, etc.

Hors des cours, on peut encourager les étudiant·es à se fixer des sessions de travail par objectif délimitées dans le temps. La méthode pomodoro est l’une des techniques les plus connues : un premier chrono délimite la session de travail (souvent entre 20 et 35 minutes), un second fixe un temps de pause (souvent 5 minutes, le temps de prendre l’air, marcher un peu, manger une pomme), répéter pour faire une série de 4 sessions de travail jusqu’à faire une pause plus longue (15-30 minutes).

Chercher les erreurs, étudier les feedbacks

En classe, on a souvent tendance en tant que prof à essayer de proposer un contenu bien carré, exhaustif, en encadrant les points importants. On cherche à transmettre un beau message. Dans leur livre, Svetlana Meyer et Philip Moore invitent à voir les choses un peu différemment : et si les séquences d’apprentissages étaient plutôt dédiées à une erreur que l’on cherche à corriger plutôt qu’un savoir que l’on cherche à transmettre ?

Cela parait être assez semblable. Pourquoi faire émerger des erreurs ? Cela rend plus facile le fait de la corriger en temps réel. On va aussi travailler sur le rapport à l’erreur : elle devient alors nécessaire au processus d’apprentissage. Le fait d’aller d’erreur en erreur permet de corriger les trajectoires au moment où les étudiant·es dérapent. Cela fonctionne mieux dès lors que les étudiant·es sont déjà un peu à l’aise, qu’une exploration un peu autonome est possible.

L’objectif de cette phase du cours n’est pas de faire les choses bien du premier coup : il est de savoir pourquoi l’on s’est trompé pour ne plus recommencer. Ou encore, de savoir pourquoi l’on ne s’est pas trompé pour pouvoir faciliter le transfert. Le feedback va apporter ces informations.

Cela peut prendre la forme de « Foire Aux Erreurs », en récoltant par exemple des extraits erronés sur des copies ou des brouillons. Cela peut aussi se faire de manière automatisée avec des QCM ou des activités en correction automatique sur Moodle.

Hors des cours, ces comportements peuvent être encouragés par le travail de groupe et surtout, en décomplexant le rapport à l’erreur.


Encore une fois, ces considérations ne sont pas exhaustives. Vous pouvez à nouveau prendre votre morceau de papier et à rayer les activités qui semblent opposées ou sans rapport clair avec ce qui précède.

Ces deux articles m’ont permis de partager quelques points importants autour de la mémorisation. Mais le métier d’étudiant·e ne se résume pas qu’à mémoriser et transférer : on en rediscute dans la suite.


Vous avez probablement des choses à partager vis-à-vis de vos propres expériences. N’hésitez pas à investir les commentaires ou me contacter par mail !

Au passage, les pictogrammes utilisés dans cette série d’articles proviennent de TheNounProject, sorte de dictionnaire anglais-pictogramme. Ils ont été dessinés par Ghiyats Mujtaba, Royyan Wijaya, Nhor, Lucas Helle, dDara, Delwar Hossain, Harold Weaver, tulpahn, Lluisa Iborra, Phạm Thanh Lộc, Adrien Coquet, WEBTECHOPS LLP, Becris, Millenials et Eucalyp.

Les principales sources d’inspiration sont l’ouvrage Tous pédagogues de Sveltana Meyer et Philip Moore, et le MOOC de France Université Numérique L’attention, ça s’apprend ! portant sur les travaux menés par Jean-Philippe Lachaux.

Crédit image : Apinoid, Training (Flickr)


2 réponses à « Favoriser le transfert »

  1. Avatar de Une question de posture – Le Chaudron

    […] et la réussite dans ses études n’est pas qu’une question de mémorisation ou de « méthode » de travail. D’autres facteurs peuvent entrer en jeu, comme l’organisation de son planning, la gestion de […]

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  2. Avatar de Les clés de la mémorisation – Le Chaudron

    […] On s’est attaqué ici à un gros morceau, le prochain article en traite un autre : les problématiques de transfert. […]

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