Série « Les ficelles du métier d’étudiant·e », épisode 4/5

Comme évoqué en introduction, l’investissement et la réussite dans ses études n’est pas qu’une question de mémorisation ou de « méthode » de travail. D’autres facteurs peuvent entrer en jeu, comme l’organisation de son planning, la gestion de sa motivation ou encore la projection au-delà des études.

Le test développé par la psychologue scolaire Hélène Weber propose d’aider à évaluer ces différents aspects. Ce test est auto-administré : les résultats ne sont pas d’une précision extrême. Il ne s’agit pas d’un oracle : il ne faut donc pas s’attendre à des révélations, mais plutôt voir l’analyse avec un regard critique. Vous pourrez distinguer des tendances pour alimenter vos propres réflexions.

Comment concrètement ces facteurs peuvent intervenir dans le déroulement de la scolarité ?


Partager la responsabilité du déroulé du cours

Il y a une phrase que je répète de temps à autre :

« Je ne peux pas être un bon prof sans bons élèves »

Par « bons élèves », je n’entends pas des jeunes qui ont 20 de moyenne ou qui ont la bonne réponse à tout. Je m’attends à ce que ces mêmes jeunes cherchent à prendre de la place : intervenir durant le cours pour moduler son rythme, mettre l’accent sur ce qui bloque, partager ses envies. Le cours n’est pas tant pour les profs que pour les étudiant·es qui sont en face : sans ce retour, on réduit les chances que le cours réponde à leurs besoins.

Côté prof, cela demande d’arriver à laisser cet espace. Ce n’est pas évident, tant les habitudes sont là, d’être sur l’estrade face au reste du groupe assis, de se sentir être la principale force motrice, d’avoir le contrôle quasi-total sur le déroulé du cours et son contenu.

Favoriser ce partage avec les élèves peut se faire de plusieurs façons : affirmer ne pas être dans le jugement, accepter les silences. Cette année, j’essaie dans un de mes cours de faire une séance en autonomie par chapitre : durant cette séance, il n’y a pas de programme préétabli, les élèves font qui leur parait nécessaire (exercices, travail sur le cours, fiches, etc). Ce moment est assez particulier, parce que j’ai l’impression d’être inactif. Mais cela permet de se convaincre que parfois, un bon rôle à tenir est celui d’être juste là, à disposition, notamment si les choses ont été bien préparées en amont.

Définir l’objet de son attention, agir avec délibération

Le dernier article de cette série fera un gros plan sur le concept d’attention. S’il ne fallait en retenir qu’une chose, ce serait la suivante : la phrase « Faites attention » ne sert à rien.

Je suis le premier à l’utiliser, mais j’ai appris grâce à Jean-Philippe Lachaux qu’il était vain de chercher à contrôler son attention sans avoir au préalable défini son objet. Très souvent dans la phrase « Faites attention », l’objet est sous-entendu : c’est que l’on est en train de raconter, présenter, expliquer, etc. En vrai, si vous voulez vraiment réussir à garder votre attention fixée sur sujet, il faut être au clair sur l’intention qu’il y a derrière.

Expliciter ses intentions n’est pas uniquement utile dès lors qu’il faut figer son attention. Il s’agit aussi de donner du sens à ses actions. Là encore, rien de bien magique me direz-vous. A ce sujet, je voudrais vous partager une anecdote reportée dans cet article, « The Making of an Expert ». Alors qu’il se questionnait sur l’efficacité de ses entraînements, le violoniste Nathan Milstein s’est vu répondre par son mentor (attention, traduction approximative) :

« Si tu pratiques avec tes doigts, n’importe quelle durée sera insuffisante. Si tu pratiques avec ta tête, deux heures suffiront »

Comme évoqué dans le paragraphe sur la zone proximale de développement, le fait de passer beaucoup de temps sur une tâche est souvent associée à de l’effort et de la montée en compétence. Je pense qu’il faut sortir de cette idée, et raisonner plutôt en termes d’objectifs. Que souhaitons-nous développer sur telle activité ? comment prendre conscience de ce que nous avons appris, du chemin qu’il reste à parcourir ? C’est en aiguisant nos capacités à définir et mesurer ces aspects-ci que nos techniques d’apprentissage gagnent en efficacité.

Fixer ses limites

Je ne suis pas sûr qu’il soit possible pour nos étudiant·es de faire correctement et exhaustivement ce qu’on leur demande de faire. Quand je dis « on », je pense à l’école en général.

Maitriser tous les cours, être à fond sur tous les rendus, participer à la vie de l’école à travers les clubs et les activités de promotion. Cela amène donc à faire des choix, à optimiser. Cela peut paraitre encore une fois anodin, mais sans se fixer de limites, comment réussir à ordonnancer correctement ses tâches ? Autrement dit, en ayant l’impression d’avoir devant soi un temps infini, comme prioriser ? Ce problème va appeler une réponse différente pour chaque élève.

On peut favoriser la réflexion en étant transparent sur le fait que c’est normal de ne pas réussir à tout faire, en encourageant les pratiques délibérées (comme indiqué au paragraphe précédent), en donnant un temps indicatif pour réaliser des tâches annexes du cours (un exemple : « passer 6 heures sur la préparation de cet exposé me semble être un bon investissement »).

Considérer l’autre (prof et élève) comme allié·e

Favoriser l’apprentissage nécessite de se mettre en vulnérabilité : qui apprend accumule les erreurs et les remises en question. Favoriser l’apprentissage peut se faire par le renvoi de feedbacks : leur réception va dépendre beaucoup de la confiance accordée à qui l’émet. Cela fait déjà deux bonnes raisons de s’attacher à développer une atmosphère de confiance.

Ce mot de confiance peut recouvrir différentes réalités. Pour moi, il s’agit de bannir tout jugement personnel, d’éviter l’arbitraire en étant le plus explicite possible dans ses consignes et ses attentes, de favoriser l’empathie entre les membres de la classe, de viser une certaine authenticité dans les relations à l’autre. Diffuser cette confiance va donc prendre des formes très différentes selon qui vous êtes. Voici quelques pistes que j’explore de mon côté.

Côté évaluation, je bannis les évaluations surprises et autres associations d’idée entre « punition » et « notation », je rends les critères d’évaluation le plus explicite possible avant, pendant et après l’évaluation, je propose aux étudiant-es de participer à la correction pour que la note ne tombe plus du ciel.

Ensuite, j’essaie de garder en tête que ce n’est pas tous les jours le bon jour. Figurez-vous que c’est un travail de « se gérer afin de fournir une représentation de sa posture et de ses expressions faciales socialement acceptables ». Ce travail est plus difficile à réaliser lorsque ce n’est pas un bon jour : cela peut parfois rendre les choses plus simples de dire « Aujourd’hui désolé, je n’aurai pas beaucoup de patience, d’énergie, etc ». Et d’accepter que l’autre en face ne peut pas être au top de sa forme et disponible 100% du temps.

J’essaie aussi de sortir de cette posture d’être celui qui à réponse à tout, voire qui doit tout savoir. J’essaie de ne pas sauter sur les problèmes mais de comprendre les demandes. J’essaie de pousser la collaboration dans la réponse aux questions plutôt que d’avoir le seul point de diffusion. Enfin, j’admets lorsque je fais des erreurs, parce que je pense que la situation inverse est très énervante !


Cet article-là est probablement le plus personnel et le plus sujet à discussion.
Plus que le contenu, c’est la démarche de formalisation et d’explicitation de :

  • ce qui est attendu des étudiant·es
  • ce que les étudiant·es peuvent/veulent attendre de nous

qui me semble nécessaire. A vous de choisir comment faire !


Vous avez probablement des choses à partager vis-à-vis de vos propres expériences. N’hésitez pas à investir les commentaires ou me contacter par mail !

Au passage, les pictogrammes utilisés dans cette série d’articles proviennent de Au passage, les pictogrammes utilisés dans cette série d’articles proviennent de TheNounProject, sorte de dictionnaire anglais-pictogramme. Ils ont été dessinés par Ghiyats Mujtaba, Royyan Wijaya, Nhor, Lucas Helle, dDara, Delwar Hossain, Harold Weaver, tulpahn, Lluisa Iborra, Phạm Thanh Lộc, Adrien Coquet, WEBTECHOPS LLP, Becris, Millenials et Eucalyp.

Les principales sources d’inspiration sont l’ouvrage Tous pédagogues de Sveltana Meyer et Philip Moore, et le MOOC de France Université Numérique L’attention, ça s’apprend ! portant sur les travaux menés par Jean-Philippe Lachaux.

Crédit image : Nathan Rupert, Samurai Power Rangers (Flickr)


Une réponse à « Une question de posture »

  1. Avatar de Gros plan sur l’attention – Le Chaudron

    […] un point que nous avons vite balayé dans l’article précédent : […]

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