Série « Les ficelles du métier d’étudiant·e », épisode 2/5

Pas de progrès sans apprendre de nouvelles choses. Pas d’apprentissage sans mémorisation ! La mémorisation peut être vue comme le résultat de deux phénomènes :

  • L’encodage : il s’agit d’une première empreinte. Dans un monde idéal, on pourrait souhaiter que les étudiant-es arrivent en classe en ayant déjà lu quelques paragraphes de cours. Cela arrive trop rarement. Sur des concepts assez éloignés de la vie quotidienne, c’est donc nous, les profs, qui sommes « responsables » de cette première étape. Très concrètement, l’information va commencer à s’inscrire quelque part dans notre cerveau sous la forme d’une association de neurones. Pour favoriser cette étape, nous allons chercher à mettre en valeur l’essentiel, à diversifier les exemples, à doser les efforts.
  • La consolidation: il s’agit ici de réactiver les chemins. Une métaphore qui revient souvent est de voir la mémoire comme une forêt. Les sentiers nous guident alors vers les choses que nous avons fait rentrer dans notre mémoire. L’encodage revient à tracer une première fois un chemin. Mais pour que ce chemin devienne sentier, il faut l’emprunter encore et encore. C’est l’objet des activités de consolidation : renforcer l’association de neurones créée lors de l’encodage.

Comment s’y prendre ? Voici quelques pistes :

Quelques moyens de faciliter la mémorisation

Se prendre des moments de récupération

L’un des premiers réflexes que l’on peut avoir lorsque l’on est face à un nouveau cours, c’est d’en faire des résumés, des synthèses, des fiches, etc. Cela peut tout à fait être utile, mais cela ne doit pas avoir pour seule utilité que de se « rassurer ». Ces contenus peuvent donner l’illusion de savoir des choses, mais ne permettent pas d’identifier les points encore obscurs.

Les phases de récupération sont là pour se mettre en position de répondre à des questions. Il s’agit de passer à « je relis tel passage et je me rassure en me disant que cela me parle » à « je me teste pour voir si je suis capable de répondre à telle question ». Il s’agit de se rendre compte avant d’arriver en examen qu’il y a quelques flous dans la compréhension du cours. Cela sera forcément utile pour l’appliquer, résoudre des exercices, produire des analyses, etc.

Comment favoriser ces moments ? Durant le cours, cela peut par exemple consister à remplacer les « Vous avez compris ? » par « Prenez trente secondes pour savoir si vous savez répondre à … ». La réponse n’a pas besoin d’être formulée à haute voix par chaque élève, mais juste de laisser un moment de confrontation avec une question. Cela peut passer aussi par des petits quizz durant le cours pour estimer la compréhension sur tel ou tel point.

Ces moments peuvent aussi être favorisés en dehors de la salle de classe. Votre cours peut se terminer par une liste de questions d’auto-évaluations que les étudiant·es pour en transformer en cartes pour réviser : au recto, la question, au verso, la réponse qui aura été trouvée dans le cours, les TD, etc. Vous pouvez aussi les inciter à reprendre le plan du cours, et pour chaque sous-partie, lister tout ce qui leur vient à ce sujet.

Retracer régulièrement les chemins

La création d’une association de neurones associée à une connaissance est un phénomène qui est loin d’être instantané. Cela peut prendre plusieurs heures. Autant dire que les sessions de révisions intenses avant un examen risquent de ne pas être durables : l’encodage pourra se faire en partie, mais la consolidation sera inexistante.

De même, les sessions de cours qui se concentrent sur un unique point risquent de ne pas être suffisantes pour le fixer. L’idéal serait donc de pouvoir revenir plusieurs fois sur un même point pour créer et entretenir ces sentiers. Et de laisser passer au moins une nuit entre deux passages sur un sentier afin de laisser les choses se fixer au niveau des neurones.

Agréger les concepts

J’ai peut-être pu dénigrer les synthèses et les fiches auparavant : c’est le moment de les réhabiliter. Une façon de les rendre très utiles est d’essayer de chercher à agréger les concepts, de les réunir en grappes.

Pourquoi faire cela ? Un petit exemple : imaginons que vous cherchiez à retenir une série de chiffre, le code de la photocopieuse par exemple. Si au lieu de considérer chaque chiffre individuellement, vous pouvez chercher à les grouper pour plus facilement mémoriser. Si vous êtes fan de géographie, des paires de numéros peuvent être associées à des départements. Si vous êtes balèze en géométrie, vous pouvez retenir la figure obtenue en reliant les chiffres sur le clavier.

L’idée est d’avoir moins de choses à mémoriser en utilisant des comparaisons, des associations d’idées, divers raccourcis mnémotechniques. Cela peut par exemple se faire en proposant des tableaux (déjà remplis ou à compléter) ou des cartes mentales permettant de saisir les classes de problèmes ou de raisonnements balayés durant un chapitre.

Relier, voir en processus

Cette idée est dans la continuité de la précédente. Il s’agit de rendre explicite des liens (logiques, temporels, etc) qui peuvent exister entre des idées pour faciliter leur articulation et leur « empilement ». Par exemple, il paraitra plus simple de retenir une recette de cuisine si on pense au processus en train de se faire que si l’on apprend les étapes dans le désordre.

En classe, c’est ce que l’on fait souvent en mettant en avant des points de « méthodologie », où l’on va donner des recettes ou des cadres de réflexions pour aborder certains problèmes.

Ce travail peut se prolonger hors de la classe en proposant aux étudiant·es de se confronter à des problèmes corrigés, à des exemples de productions correspondant aux attendus du cours. Leur travail va porter alors sur la façon dont les idées s’articulent, dont les données de l’énoncé sont utilisées pour construire un raisonnement, dont les contenus sont structurés pour arriver à quelque chose de pertinent. Cela demande par contre de fournir des cas « corrigés ».

Prendre conscience de ses idées préconçues

Lorsque nos étudiant·es arrivent en cours, leur cerveau est très loin d’être une page blanche sur laquelle nous allons infuser notre science. On peut y trouver des considérations empiriques, liées à leurs diverses expériences, et aussi des idées plus ou moins fiables provenant d’enseignements passés. Le fait de ne pas prendre conscience de l’existence de ces idées-là peut amener à ne pas comprendre d’où viennent certaines incompréhensions.

Imaginez que j’ai un feutre dans un main. Je le jette en l’air, il atteint une certaine hauteur puis revient dans ma main. Dans quel sens s’oriente la somme (ou résultante) des forces qui s’applique durant le mouvement ? A ce moment-là, j’ai vu le doute s’immiscer dans l’esprit des étudiants faisant face à moi (et je ne suis pas le seul). Je pense que posée autrement, la question n’aurait pas eu le même effet.

Ce doute est probablement lié au fait qu’on associe spontanément le mouvement à une force qui l’accompagne. Sans en prendre conscience, on risque de ne pas réussir à gérer les contradictions entre les connaissances que l’on a en tête et celles que l’on tente d’apprendre. Ce sont probablement celles ancrées depuis plus longtemps, semblant associées à des situations empiriques, qui vont persister.

Une façon de rendre tangible cet aspect reptilien de nos raisonnements et de passer par une sorte de purge préalable. Au moment d’aborder une nouvelle notion en cours, se demander ce qu’elle évoque. Après avoir constitué un petit catalogue, il sera possible de faire le tri et d’apporter des éléments convaincants pour affaiblir durablement certaines idées.

Viser la zone proximale de développement

Cette expression un peu complexe désigne la hauteur de la marche d’après. Ce qui revient à dire que ce qui est accessible est d’un niveau de difficulté juste supérieur à celui que l’on sait faire sans être guidé·e. Cela demande de la progressivité. Mais cela fait appel aussi à la capacité des étudiant·es à s’auto-évaluer.

Pour trouver cette zone, il faut avoir une vision claire de ce que l’on sait faire, ce qui n’est pas si facile que ça, notamment lorsqu’on débute. Expliciter le plus possible les objectifs de formation d’un cours est une façon de favoriser cette recherche.

Très souvent, la montée en compétence est associée de manière magique au temps passé sur un sujet. Avoir des objectifs clairs, définir des jalons pour chacun : tout cela contribue à donner des indices plus tangibles pour définir son niveau de maitrise d’un sujet.


Ces considérations ne sont pas exhaustives, mais elles permettent de décrire les principaux mécanismes. Je vous invite d’ailleurs à reprendre votre morceau de papier et à rayer les activités qui semblent opposées ou sans rapport clair avec ce qui précède. L’idée est de prendre conscience de certaines habitudes qui peuvent être contreproductives, sans forcément chercher à tout bousculer du jour au lendemain.

On s’est attaqué ici à un gros morceau, le prochain article en traite un autre : les problématiques de transfert.


Vous avez probablement des choses à partager vis-à-vis de vos propres expériences. N’hésitez pas à investir les commentaires ou me contacter par mail !

Au passage, les pictogrammes utilisés dans cette série d’articles proviennent de TheNounProject, sorte de dictionnaire anglais-pictogramme. Ils ont été dessinés par Ghiyats Mujtaba, Royyan Wijaya, Nhor, Lucas Helle, dDara, Delwar Hossain, Harold Weaver, tulpahn, Lluisa Iborra, Phạm Thanh Lộc, Adrien Coquet, WEBTECHOPS LLP, Becris, Millenials et Eucalyp.

Les principales sources d’inspiration sont l’ouvrage Tous pédagogues de Sveltana Meyer et Philip Moore, et le MOOC de France Université Numérique L’attention, ça s’apprend ! portant sur les travaux menés par Jean-Philippe Lachaux.


3 réponses à « Les clés de la mémorisation »

  1. Avatar de Favoriser le transfert – Le Chaudron

    […] y est, les éléments de cours sont mémorisés ! Fin de mission ? Non, car probablement que tout le monde connait ce sentiment désagréable […]

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  2. Avatar de Une question de posture – Le Chaudron

    […] introduction, l’investissement et la réussite dans ses études n’est pas qu’une question de mémorisation ou de « méthode » de travail. D’autres facteurs peuvent entrer en jeu, comme […]

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  3. Avatar de Gros plan sur l’attention – Le Chaudron

    […] de partir, j’ai une dernière métaphore à partager, faite maison. Ces cinq articles parlent de mémoire, de transfert, d’attention ou encore de confiance. Mais je n’ai pas réussi à y caser […]

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