Série « Les ficelles du métier d’étudiant·e », épisode 5/5

C’est un point que nous avons vite balayé dans l’article précédent : l’attention.

Dans cet article, j’aimerai rendre les choses plus tangibles et facilement exploitables pour une situation d’apprentissage.


Auparavant, j’ai pu affirmer que la phrase « Faites attention ! » n’avait pas grand intérêt. C’est une façon très premier degré de réagir dès lors que l’on a en tête une des définitions du mot « attention » : il s’agit de lier un objet (au sens large : une pensée, une image, un texte, un son, etc) à une zone de son cerveau.

Pourquoi donc faire attention ? Pour vivre les choses plus intensément.

« L’attention est un mécanisme qui permet de faciliter l’activité de certains neurones aux dépens des autres ou d’accroître leur influence sur les autres neurones. Ce mécanisme permet de se rendre plus sensible et plus réactif à ce pour quoi ces neurones sont spécialisés. »

MOOC de France Université Numérique L’attention, ça s’apprend !

Cela vaut pour une heure de cours, mais aussi pour un film, un repas ou un moment avec ses proches. Travailler sur son attention peut donc toucher des situations très larges, qui débordent le cadre scolaire.

Présenté ainsi, cela parait chouette ! Qu’est-ce qui rend donc difficile le fait d’être attentif, d’être attentive ? La quantité incroyable d’objets qui attirent notre attention.

Jean-Philippe Lachaux propose la métaphore de l’équilibre sur une poutre : maintenir son attention n’est possible que pour une période donnée, dans une direction précise et demande de compenser des perturbations qui pourraient venir d’ici et de là.

Une histoire de distraction

Ces perturbations, quelles formes prennent-elles ? Difficile de toutes les énumérer : elles peuvent être internes (des pensées qui surgissent) ou externes (une notification sur son téléphone). Elles ont toutes en commun les caractéristiques d’être soudaines et attractives (mettant nos circuits de la récompense à l’affût). Elles arrivent à nous distraire car elles ont toutes séduit notre intention : nous avons décidé d’arrêter de faire ce que faisions auparavant pour aller sur une autre activité. Ces distractions ne sont pas des fatalités, elles peuvent être vues comme autant de propositions faites à notre intentionnalité : nous avons tout à fait le droit de les décliner.

Le décréter ne suffit pas : nous pouvons ainsi nous entrainer à repérer les distractions. Quelques indices peuvent nous mettre sur leur piste. Imaginer ce que l’on ferait dans telle ou telle situation, se replonger dans des souvenirs, voire les analyser et y porter un regard critique : n’y a-t-il rien de familier dans cette liste ? Il s’agit d’actions menées lorsque l’on active le réseau par défaut. Autrement dit, ce sont les zones du cerveau qui travaillent lorsque l’on rêvasse : simulation mentale, mémoire épisodique, jugement de soi.

Travailler à associer ces activités à un détournement de l’attention permet de développer le réflexe de se demander : mais qu’étais-je en train de faire ? Ce détournement de l’attention peut aussi être associé à un changement de posture physique. Repérer ces distractions peut enfin se faire par « l’observation » de ses pensées. Jean-Philippe Lachaux propose en effet l’exercice du pensoscope. Comment procéder ? Prendre une minute en essayant de maintenir son attention sur un objet externe à soi (le fait de marcher en ligne droite, fixer des yeux l’aiguille d’une horloge durant son tour de cadran) pour repérer quel type de pensée vient nous distraire, et à quel moment.

Entendons-nous bien sur une chose : toute distraction ne doit pas être interprétée comme une défaillance à chasser. Déjà, parce qu’il est bien normal de ne pas chercher à contrôler son attention en permanence. Et puis, parce que parfois c’est bien utile : une alarme incendie, le tintement du minuteur pour annoncer la fin de cuisson des pâtes, ou encore le fait de se tourner spontanément vers un bruit lorsqu’on est dans le silence.

Maintenir son attention

Nous avons jusqu’ici abordé surtout ce qui détournait notre attention : comment la maintenir ? Les mécanismes d’intention sont associés au cortex préfrontal, zone du cerveau qui est régulièrement rafraichie. Cela rend difficile le fait de maintenir son attention sur un objet sur de longues périodes. Définir un objet avec lequel interagir n’est pas suffisant. Avoir en tête une façon d’interagir avec permet de maintenir un état de concentration.

Ainsi, bien visualiser une tâche, tant dans l’objectif que la façon de la réaliser permet de faciliter la concentration. La métaphore du pêcheur de perles rend bien cette idée. Il paraît que dans les mers du sud, où les eaux sont très claires, des yeux aguerris peuvent repérer des perles se trouvant dans les fonds marins rien qu’en restant à la surface de l’eau. Pour cela, il faut nager jusqu’à repérer des perles, puis plonger en apnée pour aller de perle en perle. Favoriser la concentration peut se faire de la même façon : élaborer une stratégie, un parcours reliant différentes missions bien délimitées. Puis réaliser chacune de ces missions avec le confort de ne plus trop avoir à réfléchir, de ne plus se demander par où aller.

Vous commencez peut-être à vous demander : très bien, comment appliquer cela à mon cours ?

Comment favoriser l’attention en cours ?

Pas simple de fournir une réponse toute faite.
Voici quelques principes que j’essaie de suivre :

  • J’essaie de rendre explicite l’objet de l’attention par la structure du cours : en introduisant globalement le sujet puis en rentrant dans les détails, en formulant des questions, en esquissant un plan détaillé. Côté étudiant·e, cela permet d’avoir des balises : en cas de décrochage, il y a moyen de revenir en retrouvant le sujet que l’on cherche à traiter.
  • J’encourage (peut-être pas encore assez) la prise de note sur le ressenti en cours. Le MOOC donne une petite astuce : lorsque l’on sait que l’on va être interrompu, prendre un post-it deux-trois minutes avant la fin de sa session de travail pour noter ce que l’on aurait fait si on avait cinq minutes de plus. Cela permet de revenir ultérieurement sur sa tâche avec plus de facilité.
    Une journée de cours est une série d’interruptions : le cours est traditionnellement cadencé par les profs, chaque cours a une durée bien limitée. Le fait de prendre des notes sur son ressenti (tel passage a été compliqué ou tel passage fait penser à tel autre) permet d’avoir de la matière supplémentaire au moment de revenir sur le cours. Cette matière peut notamment aider à prioriser.
  • J’alterne les activités pour rendre ça compatible avec la durée restreinte de l’attention. J’évite de mettre à la suite deux activités qui sont très demandeuses d’efforts.

Vous avez probablement d’autres idées qui sont plus en phase avec vos disciplines et la façon dont vous organisez, dont vous vivez vos cours.

C’est le moment de reprendre votre bout de papier, et d’y noter trois actions que vous avez envie de tester, de mettre en place dans les semaines qui viennent. Vous pouvez aussi y noter mes félicitations : vous avez tenu jusqu’au bout de cette série d’article !


Avant de partir, j’ai une dernière métaphore à partager, faite maison. Ces cinq articles parlent de mémoire, de transfert, d’attention ou encore de confiance. Mais je n’ai pas réussi à y caser suffisamment à mon goût le mot « curiosité ». Ce sera l’objet de ce paragraphe de conclusion.

Imaginez que vous découvrez la recette du moelleux au chocolat pour la première fois à 30 ans. Vous aimez beaucoup ce dessert, mais n’avez vraiment cherché à savoir comment le préparer. Vous vous inscrivez alors à un cours pour apprendre à en faire. Ce cours suit, comme quelques-uns de cours dispensés dans notre école une approche plutôt théorique. Vous n’enfournez donc pas votre premier gâteau dès le premier cours. On vous parlera plutôt de battre des œufs, peser de la farine, faire fondre du beurre. Et là vous vous direz peut-être : mais quel est le rapport avec un gâteau ? Avec un sac de farine ou une boite d’œuf face à vous, vous risquez de ressentir une légère déception.

Pas si vous avez de la curiosité. Pas si on laisse de la place durant ce cours pour la nourrir. Pas si les attentes de ce cours sont précises et permettent de se projeter.

Collègues profs, collègues étudiant·es : à nous de jouer !


Ainsi se conclue cette série !
Ce dernier épisode est aussi l’occasion pour moi de remercier Anaïs Daniau pour son aide et ses relectures.

Vous avez probablement des choses à partager vis-à-vis de vos propres expériences. N’hésitez pas à investir les commentaires ou me contacter par mail !

Au passage, les pictogrammes utilisés dans cette série d’articles proviennent de TheNounProject, sorte de dictionnaire anglais-pictogramme. Ils ont été dessinés par Ghiyats Mujtaba, Royyan Wijaya, Nhor, Lucas Helle, dDara, Delwar Hossain, Harold Weaver, tulpahn, Lluisa Iborra, Phạm Thanh Lộc, Adrien Coquet, WEBTECHOPS LLP, Becris, Millenials et Eucalyp.

Les principales sources d’inspiration sont l’ouvrage Tous pédagogues de Sveltana Meyer et Philip Moore, et le MOOC de France Université Numérique L’attention, ça s’apprend ! portant sur les travaux menés par Jean-Philippe Lachaux.

Crédit image : cabodevassoura, Focus (Flickr)


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